
Quel plus beau spectacle peut-on en effet offrir à nos jeunes joueurs pour les convaincre de la nécessité de jouer et de se déplacer ensemble que de leur proposer de bien observer le jeu des Ajacides ? Même le Barça, parce qu’il y a Messi et qu’il suffit souvent à lui seul pour résoudre tous les problèmes, n’a jamais été aussi dépendant des vertus du collectif que cet Ajax sans grande star qui place au dessus de tout la complémentarité technique et relationnelle entre tous ses joueurs, qu’ils soient, ou pas, en possession du ballon. Le contraste était saisissant pour ce quart de finale de Ligue des Champions entre une Juve à l’ancienne qui se contente de défendre et de compter sur le seul Cristiano Ronaldo pour marquer (5 buts sur les 5 inscrits en quatre match de 8èmes et quarts de finale) et cette bande de gamins d’à peine vingt ans convaincue par une philosophie de jeu apprise depuis des années dans leur processus de formation.
Une leçon pour nos présidents de L1 qui se plaignent tout le temps de manquer d’argent mais qui l’utilisent trop souvent, seulement pour compenser les lacunes de leurs politiques sportives
Il y a deux ans, ils étaient huit des titulaires de Turin à s’incliner en finale de la Ligue Europa face au Manchester United de Mourinho. Avec deux ans de moins, l’Ajax n’avait pas joué différemment, en empruntant les côtés, en défendant haut et en avançant sans cesse, en cherchant la profondeur dès que possible sans jamais négliger la préparation. Et le lendemain, notre éducateur était forcément déçu de voir le jeu si restrictif et défensif de Mourinho contrarier l’élan des jeunes bataves. Contrarier mais pas annihiler. Car deux ans après, c’est avec les mêmes joueurs, les mêmes principes de jeu et le même état d’esprit que l’Ajax est revenu plus fort. En pérennisant une méthode qui privilégie la manière au résultat, en cessant toute forme de championnite dès le plus jeune âge, en arrêtant de demander aux éducateurs de gagner des matchs coute que coute, plutôt de rechercher la progression individuelle de leurs joueurs, les têtes pensantes de la formation ajacide, préparaient les victoires d’aujourd’hui, se mettaient en position de ne pas considérer, par exemple, que la défaite face à Manchester United en finale de Ligue Europa, ou que la perte du titre au profit du PSV étaient des échecs. C’étaient juste des étapes vers l’accomplissement collectif programmé d’une génération dorée qui ne gagnera peut-être pas la Ligue des Champions mais qui aura su proposer à tous les éducateurs et coachs du monde une image enfin exemplaire et dénuée de toute forme de cynisme économique. Une leçon aussi pour nos présidents de clubs de L1 qui se plaignent tout le temps de manquer d’argent mais qui l’utilisent trop souvent, seulement pour compenser les lacunes de leurs politiques sportives, et pas assez pour défendre une identité, pour valoriser les techniciens capables de véhiculer une vraie philosophie de jeu. Avec un budget de 85 M€ qui le place derrière le PSG (500), Lyon (285), Monaco (215), Marseille (150) et Lille (90), le club d’Amsterdam démontre depuis des décennies qu’il est possible de rivaliser très souvent avec les grosses cylindrées européennes, de les battre même de temps en temps. Sans parler du trop caricatural PSG, où est par exemple aujourd’hui l’OM un an après avoir perdu la finale de la Ligue Europa 2018 et dépensé en transferts plus que la totalité du budget du club néerlandais ?
La valeur d’un joueur A plus la valeur d’un joueur B sera toujours inférieure à la relation qu’ils ont réussi à créer tous les deux…
A la fin des années 70, les mêmes idées novatrices des Hollandais volants de la génération Cruyiff avaient sauvé le football des griffes du Catenaccio italien. Cinquante ans après, non sans avoir influencé profondément et positivement l’évolution du football, elles restent plus que jamais un sanctuaire pour éducateurs en quête de repères et de valeurs à défendre, à transmettre. Et il ne faut surtout pas bouder notre plaisir, plutôt en profiter avant que les agents ne viennent une fois de plus tout gâcher en éparpillant tous ces talents aux quatre coins de la planète foot. Et de nous priver du plaisir de voir jusqu’où ces joueurs, s’ils restaient ensemble, pourraient propulser leur conception du football, jusqu’où l’Ajax pourrait influencer d’autres clubs de prendre la même voie.
Après le titre de 1995, le FC Nantes de Coco Suaudeau, qui parlait le même langage, avait perdu Karembeu et Loko en route, avant de s’incliner en demi-finale de la Ligue des Champions face à… la Juventus de Lippi. Avec son meilleur buteur et son futur champion du monde, les Canaris auraient eu les moyens de rejoindre… l’Ajax en finale (qui perdra aux tirs au but face à la Juve). A défaut de jeu à la nantaise, on ne peut que rêver voir l’Ajax rejoindre le Barça cette année pour une finale de rêve entre les deux plus grands clubs formateurs du monde. On l’espère pour notre éducateur même si on sait déjà qu’il n’attend pas ça pour montrer à ses jeunes que de toutes les formes de football, celui Made in Ajax reste le plus enthousiasmant à regarder, le plus valorisant à pratiquer, le plus exemplaire à proposer dans les écoles de football. Il suffit de le vouloir et d’être aussi persuadé que Raynald Denoueix que « la valeur d’un joueur A plus la valeur d’un joueur B sera toujours inférieure à la relation qu’ils ont réussi à créer tous les deux. » Une bonne manière de synthétiser la genèse du football total, du football à la nantaise ou de celui du Barça. Un bon sujet de réflexion à proposer à nos têtes blondes pour leur faire toucher du doigt la dimension collective d’un sport que la société leur fait trop appréhender sous l’angle des stars et des exploits individuels. C’est notamment pour ça – et pour le talent des De Ligt, de Beek ou de Jong – qu’on est toujours heureux de voir renaître, à intervalles réguliers, le mythe de l’Ajax.
Tom Boissy – Copyright Coach-Adjoint
Ajax, les éducateurs te disent merci !