
Le FC Chambly n’y est pas encore, en Ligue 2, mais le simple fait d’entrevoir cette perspective suffit pour considérer que celui qui est à l’origine de cette montée en puissance unique dans les annales du football français mérite respect et reconnaissance. Ancien stagiaire (attaquant) professionnel à Dunkerque, Bruno Luzi a arrêté sa carrière de joueur à 25 ans pour se consacrer pleinement à l’entraînement, d’une petite équipe de district qui est rapidement devenue une équipe de ligue puis de CFA, de National et bientôt de Ligue 2. Arrivé à sa tête en 2000-2001, Luzi a depuis connu neuf montées, bientôt dix, dans le sillage de son père, Walter, président jusqu’à son décès il y a un an, et de son frère, Fulvio, qui a pris le relais depuis.
Pourtant, et c’est là que débute notre réflexion, quand la plupart de ses collègues, au pedigree nettement moins étoffé, sont régulièrement démarchés par des clubs de National, de L2 et même de L1 parfois, Bruno Luzi, lui, n’a jamais reçu le moindre coup de fil. « Si, une seule fois, nous dit-il, mais d’Italie, dans le cadre du dossier de reprise de Vicenza en série C. » Le constat est brut qui fait de l’entraîneur titulaire du BEPF, demi- finaliste de la Coupe de France 2018 – après avoir battu Châteauroux (L2) et Strasbourg (L1) -, deux fois seizième de finaliste en 2016 et en 2017 – après avoir notamment sorti Angers (L2), Amiens (L2) et Reims (L1), n’être tombé que face à l’OL et Monaco après prolongations -, Bruno Luzi, le coach dont les méthodes ont propulsé le club d’une commune de 10 000 habitants jusqu’au niveau professionnel, n’intéresse aucun des présidents des quarante clubs professionnels français. Comme si, à force de rester fidèle au même club, familial, à force d’avoir des résultats, et de franchir les échelons, son profil ne pouvait que correspondre au FC Chambly, là-bas et nulle part ailleurs. Comme si sa méthode n’était pas transposable, exportable.
Guy Roux : « Pourquoi pas la L1 avec Chambly ! »
« J’ai ce sentiment que le contexte familial nuit à l’image que je peux renvoyer vers l’extérieur » reconnait-il avec franchise. « Comment expliquer sinon que, contrairement à d’autres entraîneurs de mon niveau, je ne reçoive jamais aucune proposition, ni même le moindre petit contact ? » La question mérite effectivement d’être posée qui dit beaucoup des critères de sélections des dirigeants de nos clubs qui préfèreront des noms, des personnalités médiatiques ou d’anciens joueurs pro sans expérience. Pourtant quel serait le risque de confier son équipe à un Bruno Luzi, aux prétentions salariales forcément moins importantes qu’un Thierry Henry à Monaco, un Miguel Cardoso à Nantes, un Gustavo Poyet ou Ricardo à Bordeaux, tous licenciés en cours de saison avec des bilans sportifs catastrophiques et d’énormes indemnités en poche ? Sans avoir trop de réponses à ses doutes, Bruno Luzi pense forcément à Guy Roux, qui sera resté entraîneur d’un seul club (presque) toute sa carrière, et de se demander si l’exemple du sorcier Bourguignon pouvait inspirer le Druide de l’Oise. Si lui aussi avait souffert, à un moment ou à un autre de sa carrière, de ce même sentiment d’isolement ou de manque de reconnaissance :« Les clubs m’ont toujours appelé, nous répond immédiatement Guy Roux. Quand j’étais en DH, c’était des clubs de CFA, quand j’étais en CFA des clubs de D2, jusqu’au PSG en 1994 et l’équipe de France, deux fois, juste avant et juste après Jacquet. Je n’ai aucun regret, aucune frustration d’avoir tout le temps rejeté, soit parce que je ne le sentais pas, soit parce que mon président ne voulait pas me libérer. Et au final, j’ai toujours apprécié le contexte dans lequel j’évoluais, avec énormément de liberté et de confiance de la part de mes dirigeants. Si M. Luzi est heureux à Chambly, pourquoi diable veut-il s’en aller ? »Bruno Luzi ne veut pas partir du club qu’il a créé et qu’il a contribué à faire grandir, il se demande juste pourquoi il ne séduit pas davantage malgré ses incontestables résultats et une méthode qui a fait ses preuves. « Je comprends sa réflexion, poursuit Guy Roux, mais c’est souvent en partant de quelque part qu’on regrette son environnement. Il a des dirigeants qui lui font confiance, un esprit familial qui lui permet de travailler dans la durée, pourquoi partir à l’aventure ? J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’il fait parce qu’il est la preuve que le travail finit toujours par payer. Il est dans un club qui peut s’inspirer de ce que nous avons fait à Auxerre, ou même à Guingamp, une commune à peine plus peuplée que Chambly. La L1 c’est possible ! »
« Je ne me sens pas inférieur aux autres techniciens que je vois en poste au niveau supérieur… »
A un demi-siècle d’écart la comparaison n’est plus forcément pertinente pour rêver voir Chambly au niveau européen et c’est bien parce que la réalité du football professionnel a beaucoup évolué que Bruno Luzi est dans son droit lorsqu’il s’interroge sur son avenir à moyen terme, même si le court terme lui promet la L2. « Qu’on ne se méprenne pas, je ne veux pas partir absolument de Chambly, nous précise-t-il, et je ferai tout pour atteindre la L2, mais je veux aussi que les gens sachent que je ne suis pas attaché à vie à ce club et que si un projet vraiment plus intéressant se présente à moi, je réfléchirais sérieusement. Car je ne me sens pas inférieur aux autres techniciens que je vois en poste au niveau supérieur… » et qui jouissent d’une image plus moderne, peut-être parce qu’ils ont été des joueurs de haut niveau, ou parce qu’ils ont toujours su entretenir un réseau, surement aussi parce qu’ils sont de bons clients pour les médias, et qu’ils ont intégré dans leur fonctionnement les codes de la communication 2.0. « J’ai peu de contacts avec les autres coachs, s’excuserait presque notre homme, je n’ai jamais entretenu de réseaux et je viens de très loin. Après avoir raccroché les crampons, pendant 15 ans, c’est comme si je n’existais plus avec une équipe de district et de ligue. Il n’y a que depuis cinq ans, en National, et à travers des épopées en coupe de France, que nous revenons sur le devant de la scène. » Sans toutefois susciter autant de retours que d’autres profils d’entraîneurs plus bavards, plus présents dans les médias, plus préoccupés par leur image. « Je ne réalise pas d’où on vient, nous dit-il avant de préparer son match face à Marignane- Gignac en marge de la 30ème journée de National. On n’a jamais eu le temps de trop se regarder le nombril, saison après saison, trop plongés dans le travail et les objectifs à atteindre. On s’est aussi certainement coupé de l’extérieur… » Au point de faire naitre une sorte de complexe, ou de frustration, au moment de pénétrer dans le cercle très fermé des entraîneurs professionnels… avec un agent en bandoulière histoire de voir si un intermédiaire peut venir changer la donne. Peut-être l’occasion de découvrir que son image d’ours mal léché, considérée comme un handicap dans une société de communication à outrance, peut se transformer en atout une fois le Rubicon franchi. A force, ça va bien finir par se voir qu’il est un bon entraîneur, bien meilleur que beaucoup que les les médias nous donnent en pâture et pour lesquels le faire-savoir est plus important que le savoir-faire.
Dans le sillage du FC Chambly, « un club où je me sens très bien et où j’ai conscience de tous les bons côtés de ma situation », à l’instar d’un Pélissier, d’un Mercadal, ou d’un Moulin, Bruno Luzi a encore bien le temps de faire évoluer son image. Devenir bien davantage que le coach d’un seul club. Juste un coach de haut niveau.
Tom Boissy – Copyright Coach-Adjoint
Bruno Luzi, pourquoi pas lui ?