
Parce que trop de clubs amateurs sont otages des ambitions, parfois démesurées, de leurs dirigeants ou trop orientées, de leurs entraîneurs, il parait important de rappeler la vocation première des clubs de football. Et ce n’est pas forcément d’évoluer, coute que coute, au meilleur niveau possible.
A quoi sert un club de football amateur ? Ou plutôt à quoi devrait-il servir ? Car au delà des résultats, des palmarès et des victoires qui entretiennent sa légende et balisent son histoire, forgent éventuellement son identité, se cache une réalité qui n’est pas tout le temps conforme à ses vocations originelles, à savoir former, éduquer, divertir et offrir un terrain d’expression sain à tous ceux qui ont la passion du ballon rond. Or, selon le profil des hommes qui les dirigent, leur personnalité, certains clubs ont parfois trop tendance à être au service d’intérêts personnels, otages de l’ambition d’un président, d’un entraîneur ou d’un éducateur.
Pour les clubs les plus modestes qui, avec quelques dizaines de licenciés seulement, n’ont pas d’autres espoirs que d’aligner au moins onze joueurs sur la feuille de match tous les week-ends, il s’agit surtout, dans les villages ou les quartiers, au mieux d’entretenir un lien social, au pire de trouver des prétextes aux excès des troisièmes mi-temps. La problématique est claire, sans ambiguité, qui place le sportif au second rang et transforme le club en lieu de convivialité et de partage avant tout. Dans ce contexte, difficile de se valoriser autrement qu’à travers le dynamisme de quelques rares bénévoles, difficile aussi d’assurer une pérennité à une structure fragile… qui survit que très rarement à ses géniteurs.
Entre la R3 et la R1, parfois au dessous, on connait tous des clubs qui « payent bien » et qui transforment leur vestiaire en hall de gare
Pour les clubs intermédiaires, qui évoluent en ligue pour la plupart, si les dénominateurs communs restent la convivialité et la dynamique collective, toutes catégories confondues, les différences sont plus importantes. Entre des clubs aux ambitions fédérales qui instillent la dimension financière dans leur fonctionnement, pour tenter de franchir un palier, et ceux qui se contentent du travail bénévole de leurs éducateurs et de leurs entraîneurs de toujours, assis sur les seules subventions municipales, même s’ils évoluent au même niveau, il peut y avoir autant d’écart qu’entre un club de Ligue des Champions et un autre de L2. C’est dans cette catégorie là que naissent généralement les plus gros malentendus, dans des clubs qui s’éloignent de leur rôle en voulant copier le modèle professionnel. Entre la R3 et la R1, parfois au dessous, on connait tous des clubs qui « payent bien » et qui transforment leur vestiaire en hall de gare où les joueurs ne sont souvent que de passage, attirés par les primes, éblouis par l’illusion qu’elles engendrent. Si ce système largement répandu permet à certains d’arrondir leurs fins de mois, il gangrène les fondations de clubs qui n’ont pas d’autres arguments à présenter pour être attractifs. Si le pilote est habile, les aventures humaines n’en sont pas moins authentiques, qui offrent souvent de belles épopées, et des montées successives. Malheureusement, ces dynamiques sont déconnectées de la réalité et font trop peu de cas des autres équipes du club, souvent sacrifiées pour les besoins de la « une », sous entendu ceux de son coach, lui aussi de passage et qui n’appréhende son action qu’à travers sa propre carrière. Quelquefois il s’agit d’une connaissance d’un dirigeant, un ancien pro ou un nom reconnu qui apporte sa notoriété pour mieux légitimer l’action du président, et les arbitrages budgétaires effectués. Dans ces logiques là, l’objectif est de gravir le plus vite possible les échelons pour faire la « une » et fédérer le plus de partenaires économiques possibles. On y croise des présidents chefs d’entreprise ou directeurs de société qui investissent de temps en temps de leur argent personnel en espérant un retour d’investissement en terme d’image, de contrats, de chantiers etc. Naïvement, ils pensent généralement que les bons résultats de l’équipe première rejailliront sur toutes les autres équipes du club, jusqu’aux plus jeunes. Le fameux effet de ruissellement… Evidemment, c’est rarement le cas car les joueurs recrutés de l’extérieur à prix fort, réduisent d’autant l’argent disponible pour recruter de bons éducateurs, et compliquent la promotion des jeunes du cru. Conséquence indirecte, ce fonctionnement basé sur l’appât du gain crée un appel d’air dans lequel s’engouffrent les joueurs qui s’amusent à se vendre au plus offrant, et à transformer ainsi l’état d’esprit du vestiaire… et d’une bonne partie du football amateur. Aussi vite (re)descendus qu’ils étaient montés ces clubs n’auront été qu’au service d’une minorité, certainement pas en phase avec leur vocation première.
Où est l’intérêt de monter de R2 à R1, de R1 à N3 avec une armada de mercenaires trentenaires ?
Reste une troisième catégorie très hétérogène de clubs appelés à évoluer dans l’élite du foot amateur, entre le N3 et le N1. Là encore la palette est large aux côtés des anciens clubs pros qui repartent de la base avec de grosses infrastructures. Antichambre du professionnalisme pour les jeunes les plus doués, base de repli pour les profils en quête de rebond qui espèrent encore en faire leur métier, une partie des acteurs des niveaux fédéraux pratiquent leur passion en parallèle avec leur emploi ou leurs études. En N1, voire en N2, ils n’ont d’amateurs que le nom et imposent à leur club un train de vie qui ne correspond que très peu souvent au potentiel économique de leur environnement. Même si la situation a eu tendance à se stabiliser par la force des choses avec la crise financière des années 2000, les faillites, les rétrogradations administratives, les dettes et les déficits accumulés auront encore été les meilleurs garde-fou de tous ceux qui avaient oublié en route la dimension sociale et éducative sensée guider leur engagement. On ne comprendra par exemple jamais où se situe l’intérêt de monter de R2 à R1, de R1 à N3 ou même de N3 à N2 avec une armada de mercenaires trentenaires… sinon pour les mercenaires trentenaires eux-mêmes !
Intégrer, éduquer, promouvoir, travailler, mutualiser les compétences, accompagner les doubles projets plus que spéculer, transférer ou briller… rares sont ceux qui sont parvenus à durer en oubliant pourquoi ils étaient là et à quoi servait leur club.
Tom Boissy – Copyright Coach-Adjoint
Un club de football, pour quoi faire ?