
Soumis à une pression permanente, même à un niveau amateur qui rend leur job parfois tout aussi anxiogène que chez les pros, les entraîneurs doivent prendre en compte cette dimension psychologique pour durer et garder toute leur lucidité. Au risque de tomber du côté obscur d’une fonction qui peut parfois rendre fou… ou malade.
Parmi d’autres, c’est arrivé cette saison à Nicolas Cloarec. L’entraîneur de Concarneau vivait avec passion sa dixième saison sur le banc d’une équipe qu’il a menée du CFA2 au National avec pas mal d’exploits en coupe de France en prime, des victoires face à Nantes, Niort ou Dijon et un stress permanent qui a fini par le pousser à bout. Dans Le Télégramme de Brest, il revenait sur les circonstances de son coup de fatigue : « En rentrant de Guyane, où nous avions joué un match de coupe de France, je ne me suis pas senti bien, avec une oppression à la poitrine. Il y avait une grosse fatigue psychologique, mais l’élément déclencheur a été le mal être physique. De retour à Concarneau, le médecin m’a rassuré sur le plan physique mais cela a eu une répercussion sur mes nerfs qui ont lâché. Un arrêt jusqu’à la trêve était ma seule chance de repartir en janvier… Mais ce n’était pas suffisant, je n’étais plus en capacité de retourner dans le vestiaire pour finir l’année. » Pour sa santé mentale autant que physique prendre de recul était devenu nécessaire, lâcher prise, indispensable. Remplacé par Benoit Cauet en janvier, l’ancien joueur de Lorient s’est depuis refait la cerise et a pris un agent, Yvon Pouliquen, pour lui trouver un nouveau challenge. A 41 ans, le technicien breton est encore jeune qui tirera de cette expérience une leçon majeure pour la suite de sa carrière : en acceptant l’idée de « mettre le clignotant » il avait préservé l’essentiel : sa santé.
Dépression, insomnie, problèmes gastriques ou prises de poids sont des compagnons de route redoutables
Ces dernières saisons, de Pascal Dupraz à Manuel Da Costa, à Toulouse ou à Quevilly- Rouen, en passant par Gérard Houllier à Liverpool, ou Michel Der Zakarian à Nantes, les exemples fleurissent de techniciens poussés dans leur retranchement, victimes d’alertes cardiaques, au point de devoir, eux aussi, faire une pause. Et de revenir à un rythme de vie plus raisonnable, avec une hygiène de vie plus équilibrée, des temps de repos plus longs. Se reposer 10 heures sur 24 que compte une journée serait, selon les spécialistes*, suffisant pour éviter d’être victime d’un burn-out. Dix heures de vrai repos par jour, peu d’entraîneurs y parviennent tellement leur fonction les oblige à être sans cesse en éveil. »Même quand on dort, on travaille, et on ne voit vieillir ni ses parents… ni ses enfants »reconnaissait Christophe Galtier lorsqu’il était au coeur du Chaudron stéphanois.
Chez les pros, la pression populaire, médiatique et économique explique évidemment le stress des coachs, leur obsession de ne rien laisser au hasard et donc de tout contrôler, au risque de s’oublier soi-même et de perdre en lucidité, en capacité d’analyse. Quand les jours passent et que, absorbés par les entraînements à planifier, les matchs à préparer, le recrutement à anticiper, les sollicitations médiatiques à assurer, la gestion de son effectif à ne surtout pas négliger, les agents à remballer ou à amadouer, vous ne trouvez ni le temps d’aller faire un petit footing, ni celui de faire attention à ce que vous mangez, encore moins de vous aérer la tête en allant voir un film ou un spectacle. Pour peu que vous ayez laissé la famille le temps d’une saison ou deux, que vous viviez à l’hôtel ou dans un petit appart meublé… et que les résultats tardent à venir, le risque n’est jamais loin de tout sacrifier au football, d’y consacrer ses jours et ses nuits, loin des 10h de repos nécessaires pour éloigner le risque de burn-out ! Même si ça fait rarement la une des journaux, les pathologies sont nombreuses chez les coachs de haut niveau. On a par exemple tous remarqué la transformation physique de l’entraîneur français le plus bankable du moment, Didier Deschamps. Bouffi et mal dans ses costards ou ses survêts lorsqu’il était à Marseille au coeur du cyclone phocéen, il est devenu dans la foulée un sélectionneur affûté et plus attentif que jamais à son image. Avec les résultats que l’on sait… Dépression, insomnie, ulcères ou problèmes gastriques, prises de poids sont des compagnons de route redoutables qu’il est parfois aussi difficile d’éliminer qu’une équipe de N3 en pleine dynamique en 32ème de finale de coupe de France !
Qu’elle soit de Ligue des Champions ou de coupe régionale, la solitude de l’entraîneur est la même…
Car chez les amateurs, les coachs donnent également énormément de leur personne pour prouver qu’ils ont, eux aussi, la foi. Qu’ils sont, eux aussi, prêts à beaucoup sacrifier pour faire gagner leur équipe. Qu’ils peuvent aussi rêver au plus haut niveau. On a tous eu un jour un entraîneur qui ne cessait de vous appeler, les veilles de match, jusqu’à des heures très tardives parfois pour savoir si tout allait bien, pour prendre le pouls du groupe, pour se rassurer davantage que pour vous surveiller. Et de l’imaginer, après avoir raccroché, appeler un autre coéquipier en quête d’autres certitudes. Pour se retrouver finalement seul face à ses doutes, à ses choix, à son stress. Qu’elle soit de Ligue des Champions ou de coupe régionale, la solitude de l’entraîneur est la même, qui emprunte les mêmes chemins psychologiques et pousse les plus vulnérables à perdre le contrôle, emportés par les excès de leur passion, de leur perfectionnisme mal placé. Pire, en amateur, le coach est souvent, presque toujours, l’homme à tout faire du club, celui qui gère à la fois les entraînements mais aussi l’intendance, les petits problèmes du quotidien de ses joueurs, quand ce ne sont pas les primes de match ou le mini-bus des matchs à l’extérieur qu’il faut faire réviser… S’il n’a pas la capacité de déléguer, de relativiser, s’il ne peut pas s’appuyer sur un bon logiciel d’entraînement du niveau de coach-adjoint, s’il n’est pas soutenu comme il le faudrait par ses dirigeants, son président, l’entraîneur de niveau régional qui exerce une autre activité professionnelle en parallèle n’a aucune chance de réussir. Avec des profils de joueurs de plus en plus assistés et de moins en moins responsabilisés, c’est aussi avec la casquette de psychologue ou d’assistante sociale que les coachs amateurs doivent s’asseoir sur leur banc. Si la situation est plus favorable dans certains clubs de N3 ou de N2, si les coachs y ont des statuts plus enviables, de meilleures conditions matérielles, elle ne les met pour autant pas à l’abri de la surchauffe. Tapi au fond des vestiaires, le burn-out n’attend qu’un signe pour se manifester.
Dans ce registre, les formations d’entraîneurs permettent d’appréhender le job avec plus de pertinence et d’efficacité en ouvrant le champs du possible à des intervenants extérieurs, en sensibilisant les entraîneurs à l’obligation de se faire accompagner et d’utiliser tous les outils nécessaires, avec Coach-adjoint parmi les plus indispensables. Evidemment. Et très sérieusement. Pour mieux se concentrer sur l’essentiel et ainsi se mettre en capacité de s’accorder des temps hors football. Une question d’équilibre.
*Emily Nagoski, spécialiste du comportement et de la sexualité, et Amelia Nagoski, chef d’orchestre et auteurs du livre « Burn out : le secret pour briser le cycle du stress »
Tom Boissy – Copyright Coach-Adjoint
Des coachs au bord de la crise de nerf