
Trop longtemps déterminée par les performances du court terme, elles-mêmes souvent dépendantes du seul potentiel physique des plus jeunes, la formation explore, enfin, un domaine qui tend à donner les mêmes chances à ceux pour qui la nature a été, dans un premier temps, moins généreuse. On parle de « bio-banding » pour permettre à tous ceux qui ne sont pas les plus grands, les plus forts, ni les plus rapides, de se mesurer, au delà des âges, à des joueurs de même gabarit. Surtout, de bénéficier de la part des éducateurs ou des recruteurs, de la même attention. On vous explique pourquoi, ça pourrait tout changer.
En 2001, à 28 ans, Eric Carrière était élu meilleur joueur de Ligue 1, après avoir obtenu le titre de champion de France avec le FC Nantes. Il allait en gagner trois autres avec l’Olympique Lyonnais pour être appelé à dix reprises en équipe de France, y inscrire cinq buts… et évoluer pendant quinze ans au plus haut niveau. Pourtant, dans son parcours de formation, jusqu’à ce que Robert Budzynski tombe sur lui par hasard alors qu’il avait déjà 22 ans, il n’avait jamais été considéré, à aucun moment, comme un réel espoir du foot français. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il était jugé trop limité physiquement. Parce que dans tous les tests, tous les concours d’entrée, toutes les sélections qu’il effectuait, tous les éducateurs, recruteurs ou sélectionneurs régionaux n’avaient qu’une seule et même logique en tête : celle d’un court terme forcément impacté par les capacités des heureux élus à courir vite, à sauter haut et à gagner les duels. A reproduire les efforts.
Ici, il s’agissait de renforcer une classe de sport-études qui souhaitait conserver son titre de championne de France, là d’étoffer une équipe de cadets pour conserver sa place en National, autant d’enjeux qui n’ont jamais intégré le développement personnel d’un joueur qui n’était pas programmé pour être parmi les meilleurs à 16 ans… donc qui ne l’était pas non plus pour pouvoir rêver d’une carrière pro.
De trop nombreux petits gabarits sacrifiés sur l’autel de l’efficacité immédiate
Si, depuis, les choses ont fort heureusement (un peu) évolué, grâce notamment aux succès du Barça et du foot espagnol, pour un Eric Carrière finalement consacré, combien sont passés entre les mailles du filet qui auraient pu, qui auraient du, parce qu’ils étaient de bons footballeurs, avoir eux aussi leur chance ? On ne le saura jamais mais à constater la faiblesse technique et créatrice du footballeur français moyen qui sort de nos centres de formation, le faible spectacle offert par une grande majorité des clubs de L1 qui ne peuvent pas s’appuyer sur des stars internationales achetées à prix d’or, ils doivent être nombreux à avoir été sacrifiés sur l’autel de l’efficacité immédiate.
C’est pour enfin leur permettre à tous, sans différence de taille ou de poids, d’avoir les mêmes chances de réussir qu’est né ce qu’on appelle désormais le « bio-banding ». Le principe est simple, il est d’abord de distinguer l’âge chronologique de l’âge biologique pour permettre plus d’homogénéité dans la composition des groupes, éviter que dans une même catégorie d’âge les plus grands, les plus costauds réduisent les autres au silence, leur prennent toutes les places dans le parcours déjà si difficile d’accès au plus haut niveau. Car pour le moment, à part quelques exceptions – celles de Carrière étant une des plus significatives -, force est de constater que ce sont les morphologies les plus matures qui squattent les sélections de jeunes, donc qui ont le plus de chance de se faire remarquer et d’intégrer in fine les centres de formation. Et pas forcément ceux qui respirent le mieux le football.
A la puberté, des joueurs qui ont le même âge chronologique peuvent afficher jusqu’à cinq ans de différence sur le plan du développement biologique…
Une récente étude effectuée par des chercheurs suisses (1) a montré qu’à la puberté, des joueurs qui ont le même âge chronologique peuvent afficher jusqu’à cinq ans de différence sur le plan du développement biologique. Ils en concluaient de manière très précise : « Dans de nombreux sports, les jeunes dont le développement biologique est plus précoce bénéficient d’une meilleure promotion et ont plus de chances de percer que des joueurs moins précoces mais disposant d’un plus grand potentiel. » Dans la même logique, à Manchester United, l’Académy s’est intéressée au profil de ses pensionnaires, y décelant dix fois plus de joueurs affichant un développement biologique précoce que de joueurs au développement plus tardif. On peut donc imaginer qu’en Angleterre aussi, et peut-être surtout, les talents perdus sont nombreux pour l’émergence d’un prototype de joueur anglais moyen qui ne fait pas forcément la part belle à la technique, et à l’intelligence de jeu. En France aussi, à mesure que les compétitions de jeunes s’installaient dans le quotidien des clubs amateurs comme unique baromètre de performance, presque de compétence, la formation est devenue un cercle vicieux avec des éducateurs qui ne trouvaient pas mieux pour se valoriser… que de gagner en promouvant des joueurs immédiatement opérationnels à défaut d’être les plus intéressants à terme. Et de laisser au bord du chemin une pléiade de petits gabarits, des profils à la Xavi ou Iniesta qui, s’ils étaient nés de l’autre côté des Pyrénées, n’auraient certainement pas eu le même destin. Il ne s’agit pas là de ne mettre en avant que les mêmes profils de joueurs, car il faut évidemment de tout pour faire une équipe équilibrée, mais de donner la même chance à tout le monde, laisser le temps aux plus timides de s’aguerrir, aux plus fragiles physiquement de s’endurcir… sans leur fermer, même temporairement le chemin de l’excellence.
Reconsidérer le regard critique que trop de formateurs portent sur les profils qui ne répondent pas immédiatement aux exigences physiques de la haute compétition
Sans en faire la norme, sans ôter à certains petits gabarits la possibilité de se construire aussi dans la difficulté, et de faire de leur handicap de départ une force, il parait essentiel de reconsidérer le regard critique que trop de formateurs portent sur les profils qui ne répondent pas immédiatement aux exigences physiques de la haute compétition.
Tous les recruteurs de clubs pros vous diront qu’entre 10 et 15 ans il est impossible de prévoir l’avenir sportif d’un enfant. Pourtant les mêmes ont pendant des années privilégié les mêmes profils et snobé des gamins de moins de 15 ans qui n’avait physiquement pas les armes pour exister au meilleur niveau de leur catégorie. Pour peu qu’ils soient fragiles, qu’ils se blessent plus que la moyenne, c’en était fini de leurs rêves de professionnalisme. Il était alors de bon ton de parler de la dure loi du haut niveau, des exigences de la compétition… Nous, on préfère parler d’incompétence.
On a fait un rêve; Que lors des vingt prochaines années, tous les meilleurs footballeurs, les meilleurs techniciens, ceux qui comprennent le plus le football dans sa dimension collective notamment, quel que soit leur gabarit ou lacunes physiques, aient la possibilité, dès leur plus jeune âge, d’intégrer les meilleures structures de pré-formation. Dans ce rêve, la France n’était peut-être pas championne du monde une troisième fois avec un Griezmann obligé de s’exiler en Espagne pour poursuivre sa progression, mais surtout on se régalait à la perspective d’assister à un Amiens-Toulouse ou à un Montpellier- Strasbourg parce que la majorité des joueurs présents sur la pelouse avaient passé leur formation, non pas à apprendre à faire un contrôle ou une passe au bon moment au bon endroit, mais bien à mettre une technique individuelle déjà aboutie au service du jeu. Et ça, si le « bio-banding » pouvait nous l’offrir, alors pour le coup, oui, ça pourrait tout changer.
Tom Boissy – Copyright Coach-Adjoint
(1) Dennis-Peter Born, Marie Javet, Mirjam Hintermann, Stefan Brunner, Rahaël Kern, Jörg Fuchslocher et Michaël Romann, de la Haute Ecole fédérale du sport de Macolin, et de l’Association suisse de football
Le « bio-banding », une révolution en cours ?